Salle 6 by Tchekhov Anton
Auteur:Tchekhov, Anton [Tchekhov, Anton]
La langue: fra
Format: epub
Publié: 0101-01-01T00:00:00+00:00
IV
Au bout de cinq jours, Anîssime, se disposant à partir, monta chez Varvâra lui dire adieu. Elle tricotait un bas de laine rouge, assise près de la fenêtre ; toutes ses veilleuses brûlaient devant les images et on sentait dans sa chambre une odeur dâencens.
â Tu restes bien peu de temps avec nous, lui dit-elle. Tu commences à tâennuyer, bien sûr ? Ah la la la la !... Nous vivons bien, il y a de tout chez nous en abondance, et ton mariage sâest bien passé. Ton père dit quâil a coûté deux mille roubles. Nous vivons, en un mot, comme des marchands. Seulement on sâennuie chez nous ! Nous offensons trop le monde. Mon cÅur en souffre, mon ami. Comme nous lâoffensons, ah ! mon Dieu ! Ãchangeons-nous un cheval ; achetons-nous quelque chose ; louons-nous un ouvrier, nous trompons en tout ; tromperie et tromperie. Lâhuile de chènevis que nous vendons est aigre, gâtée ; il y a des gens chez qui le goudron de bouleau est meilleur. Dis-moi, je tâen prie, ne pourrait-on pas vendre de bonne huile ?
â Chacun est marqué pour quelque chose, maman.
â Oui, mais il faut mourir ? Aye, aye ! Vraiment tu devrais en parler à ton père !...
â Parlez-lui-en vous-même.
â Ah, oui ! Je dis une chose, il me répond comme toi un seul mot : chacun est marqué pour quelque chose. Crois-tu que, dans lâautre monde, on ira chercher cela ? Le jugement de Dieu est juste.
â Certainement personne nâira chercher cela, dit Anîssime en soupirant ; il nây a pas de Dieu, voyez-vous, maman. Quây aura-t-il à chercher là ?
Varvâra le regarda, surprise, se mit à rire et leva les bras. Comme elle sâétonnait si sincèrement et le regardait à la façon dâun extravagant, il se troubla :
â Un Dieu, il y en a peut-être un, dit-il, mais il nây a pas de foi. Tandis quâon me mariait, je nâétais pas dans mon assiette. Comme quand on prend un Åuf sous une poule et que dedans piaule un petit poulet, jâai senti tout à coup ma conscience piauler, et tout le temps jâai pensé : il y a un Dieu. Mais aussitôt sorti de lâéglise, plus rien. Dâoù puis-je savoir sâil y a un Dieu ou non ? On ne nous apprend pas cela dès lâenfance. Quand lâenfant tette encore, on ne lui apprend quâune chose : chacun son affaire. Voyez, mon père non plus ne croit pas en Dieu. Vous mâavez dit une fois quâon a pris un mouton chez Goûntarov... Jâai trouvé qui lâa volé : câest le moujik de Chikâlovo. Il lâa volé, mais la peau est chez mon père !... Voilà la foi quâil y a !
Anîssime cligna un Åil et secoua la tête.
â Le starchine non plus ne croit pas en Dieu, continua-t-il ; le secrétaire non plus ; le sacristain non plus. Sâils vont à lâéglise et observent les jeûnes, câest pour que les gens ne parlent pas mal dâeux ; et pour le cas où peut-être, tout de même, il y aurait un jugement dernier.
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